SAMAYA x TIMOTHÉE NITSCHKE

ALPINISME HIVERNAL AU BEN NEVIS

 

 
Alors que tout s’annonçait inhospitalier, Timothée Nitschke, Ilona Serrar et Paul Blanié se sont rendus au Ben Nevis en Écosse, en plein cœur de l’hiver. En dépit de la météo capricieuse, du froid et du vent continu, les trois compères n’ont reculé devant rien, animé par la passion de l’alpinisme et par la force de leur cordée. Pour Samaya, ils reviennent sur ces dix jours glacés.
 
Ilona Serrar : Poussés par une énergie débordante, une envie de voyage et un besoin d’aventure, nous avons décidé de sortir des sentiers battus. Pour nous, pas besoin de voyage à l’autre bout du monde ni de vols longs courriers : une Dacia Sandero et une montagne glacée suffiront. Nous avons quitté Chambéry le 18 février 2024 pour rejoindre l’Ecosse en voiture. Arrivés sur place, nous filons en direction du Ben Nevis, point culminant de l’Ecosse, pour explorer ses lignes sauvages.
 
Paul Blanié : Cette montagne de 1345 mètres est la plus haute de tout le Royaume-Uni. Pour les aficionados des Alpes Françaises, l’alpinisme ne rime pas forcément avec une altitude dépassant à peine les 1000 mètres. Pourtant, c’est le berceau du célèbre mixte écossais, auquel de nombreux alpinistes hivernaux se sont frottés ! Certains n’ont jamais pu atteindre le sommet en raison des conditions météorologiques souvent peu accueillantes. Du fait de la proximité avec l’océan et le cercle polaire, les créneaux sont incertains et peuvent varier du tout au tout du jour au lendemain.

 

 
Ilona Serrar : En France, tu évites d’aller en montagne quand il pleut. Là-bas, si tu attends le « beau temps », tu ne fais rien. Nous avions bien conscience de cet enjeu mais appréhendions encore plus les conditions dans les voies, notamment la présence ou non du placage. Il est quasiment impossible de prévoir l’état dans lequel tu vas trouver une voie. Elle peut être en super condition la veille et ne plus être praticable après une nuit de tempête. Il faut réussir à s’acclimater à ce genre de pensée et accepter de partir avec des tonnes de doutes. Il faut aussi accepter que tu aies plus de chance de rentrer bredouille que d’atteindre le sommet. Nous avons eu énormément de chance en ce qui concerne les conditions. Bien sûr, la plupart du temps, nous nous sommes fait baffer par le vent, noyer par la pluie et tromper par le brouillard, mais nous avons également vécu quelques moments de répit que peu de chanceux connaissent sur cette montagne.
 
Paul Blanié : Le bivouac nous permettait de rester proches des faces que nous voulions tenter, nous faisant économiser presque 4 heures de sortie en plus par jour et tout autant d’énergie non dépensée ! En plus du délai de marche écourté, le bivouac permet de rester plus longtemps sur place pour saisir le bon créneau météo, qui peut varier du tout au tout du jour au lendemain.

 

 
Ilona Serrar : Porter sa maison sur son dos a quelque chose de libérateur. Rien ne vaut une soirée arrosée (par la pluie écossaise bien sûr) entre copains !
 
Paul Blanié : Nos attentes quant aux conditions de pratique se sont révélées véridiques. Nous avons eu droit à de la pluie en continu pendant toute une journée, de la neige pour accompagner une autre sortie ainsi que du froid et du vent en continu et en rafales. L’avantage de cette météo était le maintien de la neige et de la glace, ce qui nous a permis de réaliser toutes les sorties que nous voulions dans de bonnes dispositions et d’en venir à bout. Dans tous les passages, la glace nécessaire était formée au moins suffisamment pour pouvoir l’exploiter. La neige fut aussi au rendez-vous pour accentuer l’ambiance magique des lieux. Elle nous a offert une pratique aisée lorsqu’elle était en quantité moyenne et dure, mais nous a également ralentis lorsqu'elle était fraîche et en grande quantité. Grande surprise et pas des moindre, du froid, parfait pour les conditions de grimpe, accompagné d’un soleil inespéré dans une Écosse à l’image grise et pluvieuse !
 
Ilona Serrar : Pour ce genre d’aventure, il faut accepter de ne pas tout maîtriser à la perfection, ce qui peut parfois être un peu compliqué à gérer. Dans ces moments-là, la cordée est notre plus grande force. Notre stratégie pendant toute l’expédition était de se dire : “on y va et on verra”. On avait très peu d’infos sur les voies que l’on voulait faire, que ce soit sur l’accès, l’itinéraire ou encore les conditions. Il n’y avait qu’un moyen d’en savoir plus : se rendre sur place. C’est comme ça que nous avons réussi à faire 4 fois le sommet.

 

 
Timothée Nitschke : À chaque reprise, on remet les pieds dans cette face nord avec aussi peu de certitudes de réussir à mener à bien notre « mission » du jour. Chaque jour était un moment de doute. Globalement, on a eu beaucoup de chance. Rares sont les alpinistes qui, durant un voyage en Écosse, arrivent au sommet de chaque voie qu’ils entreprennent. Ce qui fut assez étonnant durant ce voyage, c’est qu’à chaque fois qu’on sortait en haut du Ben les émotions étaient égales et ultra puissantes. Quelle joie d’arriver à faire ce sommet ! La première fois, c’était la découverte et le fait d’en avoir tant rêvé et enfin d’y être. La deuxième fois, c’était la réussite de cette voie historique sous la neige après une longue journée et le retour du froid. La troisième fois reste pour moi un des meilleurs souvenir de cette expédition, si ce n’est le meilleur. Arrivés au sommet, il n’y avait aucun vent. Nous avons profité des derniers rayons du soleil qui glissaient sur les Highlands qui nous entouraient. Ce moment marquait la fin d’une belle journée dans une voie loin des sentiers et qui ne s’est pas laissée faire si facilement. Je crois bien que c’est pour ces moments-là que je fais de la montagne. Merci les copains !
 
Paul Blanié : Ce qui m’a particulièrement touché, c’est la sortie de la voie “Raeburn's Buttress Original”, notre dernière sortie à trois. Nous sommes partis le matin dans ce qui sera la voie la plus dure du voyage. Une grande cheminée de 500 mètres en neige, glace et rocher. Seuls au monde, nous avons été ralentis par la neige fraîche qui ne permettait pas d’avancer aussi vite que prévu. Dans la voie, les longueurs passaient un peu plus lentement que ce que nous avions imaginé la veille. Rien d’inquiétant cependant. Nous sommes sortis de la partie technique vers 17 heures. La joie était déjà présente, mais il nous restait une dernière pente de neige avant d’arriver au sommet. Vingt minutes ont été nécessaires pour finir l'ascension. Au sommet, nous étions tous heureux. Là, juste devant nous, grâce au temps que nous avions pris, comme un point d'orgue à ce voyage et à cette journée, s’étalait le coucher de soleil sur l’océan. Des couleurs à couper le souffle ! Un ciel bleu, des nuages rouges en arrière-plan, le soleil reflétant sur l’eau, la neige sous nos pieds et la lune derrière nous, comme un moment figé dans le temps. Entre le soulagement de la fin de cette sortie, l’aventure humaine de ce voyage et le spectacle grandiose sous nos yeux, la clôture de cette expédition ne pouvait être plus belle. Personne ne trouvait de mots. Ils n’étaient pas utiles. On s’est regardés en souriant tout en profitant d’un moment simple mais inoubliable entre copains.

 

 
Ilona Serrar : Mon cher Ben, nous avons adoré passer quelque temps dans ton réfrigérateur. Nous garderons en mémoire les humeurs de ton ventilateur. Sois-en assuré, ses souvenirs glacés seront pour toujours conservés au frais. Nos chemins se séparent pour de nouvelles contrées, mais ton sommet reste à jamais gravé. Grâce à toi, on s'est fait des nouveaux copains. Ils sont vraiment givrés et on se marre bien. Nous te remercions pour tes lignes glacées et les missions réalisées. Qui sait, peut-être qu'un jour on pourra se retrouver !

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